Ce jour-là j’ai croisé, sous le regard des fétiches avisés qui se refusent de dévoiler ce qui aurait pu advenir, la veuve en tenue de mariée qui s’est trompé de convoi… déjà naguère, ces mêmes incarnations aléatoires, ce ravissement étrange dans l’univers de Jean-Louis Bernard. Mais aujourd’hui, je ne reviens pas sur mes pas. Je prends un autre chemin, j’emboîte le pas du poète parce que des fois c’est quand même bien.
Je rejoins le portrait de la veuve égarée, confuse, surprise en mariée émue comme les narrataires l’aiment. Le poète l’a mise en boite, par manière de plaisanterie assurément. Elle pourrait s’échapper, la madame, suivre le chemin que lui montre l’oiseau, nous rejoindre peut-être. Non c’est trop faire. Son regard se perd. Elle reste impavide dans son silence claquemuré. Allons filons, j’entends s’approcher sur leurs montures invisibles des soudards écervelés à la poursuite de la mariée…
Chaque boite de Jean-Louis Bernard est un petit poème dont les mots sont des choses et les vers des assemblages qui font perdre pied à la réalité. Comme celles de Joseph Cornell, chacune s’assume pleinement, chacune est quelque chose en soi, totalement aboutie. Pour autant, chacune est plus que l’espace imaginé au premier regard sous l’impulsion de l’émotion. Il faut un détour par le cartel pour en avoir la révélation. Les petits cartons font pleinement partie de l’œuvre. Ils n’ont pas de prix, les ignorer dans l’urgence d’une visite impatiente la prive de sens. Aphorismes, citations ou vers esseulés, ils livrent un titre qui n’informe pas le regardeur, mais le surprend et l’enchante. Ensemble, les mots et les choses font œuvre, indispensables les uns aux autres et cependant — c’est tout le génie — sans perdre leurs identités propres. Par la grâce du verbe le surréalisme new-yorkais est débordé par le réalisme fantastique et poétique gratianopolitain.
Plus tard, quand revient le souvenir du beau voyage, parce que quand même c’était bien, à la faveur des brumes de la mémoire, les objets, les aphorismes, citations et vers esseulés se font la belle. Quelle joie que ce grand désordre. C’est la fête des brocantes et des greniers, des doudous abandonnés et des fétiches oubliés. Les soudards embrassent la dame, et lui disent merci. C’est la fête après le spectacle, comme les comédiens, derrière le rideau, après avoir tout donné aux spectateurs et à l’auteur. Sous le voile de la mémoire quelques fétiches prolongent la conversation, des titres s’attardent en petits groupes, bouts-rimés à la rime égarée, ils s’enversent ou s’emprosent, ils s’enrythment éperdument. Plaisir exquis.
Après la visite de l’exposition : Jean-Louis Bernard, Ne pas ouvrir avant l’arrêt du train, Librairie Arthaud, janvier-février 2019
Illustrations (courtoisie de l’artiste) : (1) Jean-Louis Bernard, La veuve en tenue de mariée se trompe de convoi ( photographie Alexandre Baumgartner); (2) Jean-Louis Bernard, La poursuite de la mariée ; (3) Jean-Louis Bernard, Les fétiches avisés se refusent à dévoiler ce qui aurait pu advenir ( photographie Alexandre Baumgartner).
Pas de citations mais des mots empruntés, dans l’ordre d’apparition, à : Jody Hauptman, Balayures (in : Joseph Cornell et les surréalistes à New York, Hazan 2013, p.333) ; René Magritte, Sur les titres (in : Magritte, Les mots et les images, Les impressions nouvelles, 2012, pp.80-86) ; Raymond Queneau, Bon dieu de bon dieu (In : L’instant fatal, 1948, ici par exemple).
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