Au-delà du regard, toucher la conscience

Feu de l’indignation, colère froide, matière-émotion sont les principes actifs de l’alchimie poétique-politique  par laquelle Luc Quinton donne, à colle et à cri, la parole aux images. Des images extraites du flux incessant que déversent les médias sous nos yeux devenus indifférents jusqu’à l’aveuglement. Images que l’artiste saisit au vol de l’actualité et transforme en images-manifestes.  Chaque collage accueille le regard, puis selon une grammaire subtile, le dirige vers un détail de l’œuvre qui en devient le sujet. L’échange n’est alors plus dans l’ordre du voir mais dans celui du dire. Dire, interpeller pour atteindre au-delà du regard la conscience de chaque regardeur. Un voyage de la surface des émotions à la profondeur des sentiments. Des collages dont l’esthétique sobre et efficace suscite l’élan empathique pour ce qui est le vrai sujet avant même qu’il soit perçu. Regarder, voir, réagir, agir.

L’œuvre de Luc Quinton est nourrie de son désir sans concession de justice et d’humanité. Sa matière est l’évidence de l’odieux dont le récit incessant se défait dans sa répétition même. Il faut suspendre le temps pour saisir cette évidence, l’extraire du bruit qui l’accompagne pour en comprendre intimement le sens pour soi même et non seulement en soit, c’est-à-dire abstraitement. Pour y parvenir, choisir-découper-coller transpose et recompose des images singulières et signifiantes réduites au silence par les excès de communication. L’art du collage est un art de la scénarisation : tout est déjà là, rien n’est encore dit jusqu’à ce moment où la mise en espace fait entendre l’écho d’une parole.

Le collage a contribué aux avant-gardes du XX° siècle en constituant en matière d’art des matériaux les plus ordinaires, journaux, affiches et magazines, pour des créations procédant par rapprochements ou superpositions. Picasso, Beuys, Braque, Gris, Ernst, Eró… L’art du collage c’est toute une histoire avec ses classiques et ses chevaux légers contemporains.  Le travail de Luc Quinton prend dans cet univers une place originale par le choix des supports.  Maître du papier-sur-papier, il s’aventure sur  les territoires de la sculpture.  Son support privilégié est la tôle. Des tôles récupérées, symboles primitifs de la résistance. Résistance au temps, aux éléments, aux agressions. Résistance à l’abandon. Vestiges ou reliefs encombrants, il les ramasse au hasard des rencontres en forêt, au champ, au bord des sentiers et des chemins. Récupérées, nettoyées, parées de simplicité ces tôles reçoivent les images et deviennent paysage.  Ces images-témoignages ne s’imposent pas au premier coup d’œil. Discrètes souvent, fondues parfois dans l’esthétique de l’œuvre, elles s’imposent dès quelles sont découvertes avec la puissance de l’évidence. Les fragments de photographies fonctionnent comme des alertes. Le collage fait signe. Le collage fait sens. Les fragments de photographies ne sont pas sélectionnés et assemblés pour créer un sens, mais pour prendre tout leur sens. Le regardeur voit ce qu’il n’avait que perçu puis oublié. Le pouvoir de la poésie de Luc Quinton est celui d’ouvrir le chemin vers  la conscience.

Luc Quinton a un attachement particulier pour Jacques Prévert, une filiation en quelque sorte. Le poète tient une place particulière dans l’histoire du collage par le génie d’une création poétique, humoristique et politique. Sa voix porte loin sans hausser le ton. En suivant sa propre route, Luc Quinton s’inscrit dans cette lignée, celle de ceux qui baissent la voix pour être écoutés, parce que toujours c’est en tendant l’oreille que l’on prête attention. Palestine, planète, pauvreté, paix et poésie. La force tranquille des œuvres et le silence qui les baigne font entendre les tourments de l’humanité.

Après la visite de l’exposition : Luc Quinton, Des collages immédiats, Espace Aragon.

Illustrations (courtoisie de l’artiste ©Luc Quinton) : (1) Luc Quinton, Amère Palestine, 9 juillet 2012 (bois, métal rouillé, barbelés rouillés du camp de Rivesaltes, papier. 545x300x23mm) ; (2) Luc Quinton, Au fil de guerre, mai 2012 (bois, papier, métal rouillé, ciment. 1100x85x65mm) ; (3) Luc Quinton, Plein le dos, 15 juin 2006 (papier et métal rouillé. 215x300mm) ; (4) Luc Quinton, De der en der, ça dure comme fer, 8 octobre 2006 (bois, métal rouillé, papier) ; (5) Luc Quinton, Entre deux chaises, 28 septembre 2013 (bois (fond de chaise), clous rouillées, papier. 360x360x30mm).

Site de Luc Quinton — pas sage comme un collage



Catégories :choses d'ici, regardeur

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2 réponses

  1. Un texte fin, précis, au plus prés du travail de Luq. merci à LS de nous inviter à percevoir encore plus et mieux l’évidence frappante des éléments de réalité utilisés, à ne pas nous endormir sur un sens figé aux bruits du monde à ses soubresauts.

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  2. Grand merci pour ce regard, et ce partage. De l’émotion, encore, et encore.
    Merci.
    Et au plaisir.

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