Le rouge, ce trou noir des désirs d’être et des volontés de paraître qu’il absorbe puis reflète. Rouge symbole de la puissance, rouge signe de la révolte. Le rouge revendique, impose ou dénonce. Drapeau rouge et bonnet rouge. Rouge de la calotte et des armées du roi. Rouge de la croix et de la lanterne. Toute assignation du rouge se voit opposer son contraire. On dit qu’entre le noir et le blanc, deux absences, le rouge fut jadis la reine des couleurs. On dit encore que pour les bambaras le rouge, le blanc et le noir sont les couleurs fondamentales. Au prisme de la science, ces affirmations ne pèsent pas lourd. Mais la science a parfois la vue un peu courte. Au-delà du regard le rouge touche au cœur.
Extrait des notes 08/2011
RVB – 226/202/169 – 202/75/62 – 166/63/1 – 66/37/14 – 110/44/17
C’est cette profondeur qu’explorent les créations récentes d’Elisabeth Beurret. La démarche est structurée avec rigueur par une méthode dont attestent les carnets, et guidée par une intuition sensible qui saisit la vibration de l’œuvre à son point d’équilibre. Les matières disponibles sont nombreuses, tant sont nombreuses les sources de La couleur : chair de la cochenille, bouclier du kermès, feuilles du sorgho, rhizomes de la garance. Le choix de l’artiste va naturellement vers les plantes dont elle connaît bien le grand livre et retient, parmi elles, la garance tintorum ou peregrina dont les racines livrent un pigment rouge sang. Mais « un seul rouge ne peut suffire » à l’exploration tant les nuances sont nombreuses sur la palette écarlate, du rouge feu au rouge noir, en passant par les carmin, pourpre, rubis, et bien d’autres encore, vermillon et cramoisie. Sa sélection faite, d’Elisabeth Beurret sépare le pigment et la matière,
puis travaille cette dernière avec les techniques du papier qui lui sont familières, augmentées des stratégies de l’artisan pour créer des réserves — nœuds, fronces, coutures — qui induiront un jeu sur l’expression de La couleur réintroduite par la teinture.
Peinture, teinture. Il s’en faut d’une lettre, il s’en faut de peu. Sous l’œil du regardeur la différence est mince. L’œuvre qui s’offre au regard a la puissance des dites techniques mixtes qui, dans les limites de la toile, font émerger tout un monde de teintes et de reliefs. Sous la main de l’artiste la différence est grande. Bien que les croquis montrent l’anticipation des lignes de force de ce qui va advenir, la réalisation doit accepter les raisons de la plante dont la nature impose ses propres lois. Nulle science, nulle technique ne saurait anticiper ce qu’il en sera effectivement. Il n’y a pas de regret, pas de reprise. L’artiste doit accompagner, infléchir ou encourager l’évolution de l’œuvre au fil de la création. Il doit à la fois pétrir et apprivoiser, le bambara a un seul mot pour ces deux verbes, kólo, et un seul mot pour le résultat, kóloni. Désirer l’œuvre, Nege kóloni, plutôt que la vouloir est tout ce que peut l’artiste. C’est l’exceptionnel talent d’Elisabeth Beurret.
Après la visite de l’exposition : Elisabeth Beurret, Les trois saisons du rouge, La Grange du Boissieu.
Illustrations (courtoisie La grange du Boissieu, ©Elisabeth Beurret) : (1) Elisabeth Beurret, Carnet, Extrait des notes 08/2011 ; (2) Elisabeth Beurret, Racines de garance ; (3) Elisabeth Beurret, Rouge Garance – Jegekoloni (114×35 cm).
Citation : Jean-Pierre Brazs, « Ce rouge, pour quel espoir », préface du catalogue.
Catégories :art contemporain, choses d'ici, regardeur
Votre commentaire