The National Gallery, à Londres, consacre une exposition aux portraits réalisés par Goya, peintre de cour. On est loin du Goya des peintures noires et des désastres de la guerre. Comme cela est souvent le cas pour ce type d’exposition, le regardeur est moins guidé par l’émotion que par l’admiration pour une technique et la curiosité (qui gagnerait à être armée d’un bonne connaissance de l’histoire). On découvre des hommes et des femmes, grands de leur monde, grands de leur temps, maintenant souvent oubliés, dont la personnalité affleure parfois sous le pinceau complice ou réservé du peintre.
Le portrait de Ferdinand VII en habit de cour, peint alors que Goya venait de reprendre sa place de peintre officiel de la cour d’Espagne, en est un bel exemple. Le roi, bientôt monarque absolu, était tout juste remonté sur le trône d’Espagne après que les français aient été boutés hors la péninsule par une alliance menée par les britanniques. Il fit payer cher ceux qui s’étaient compromis avec les français, ainsi Goya dût-il écarter les soupçons de compromission avec l’envahisseur pour être reconduit dans sa charge. Les deux hommes devaient peu s’apprécier, ce qui expliquerait ce portrait peu flatteur qui a valu à Goya d’être mis l’écart. La main gauche, du souverain tient, brandit presque, le sceptre. La main droite dégage le manteau pour donner à voir la ceinture de l’Ordre de Carlos III et le pommeau de l’épée. Goya parait ainsi suggérer une revendication affirmée du pouvoir fraichement recouvré. Détail étrange, le très riche collier de Grand Maître de l’Ordre a glissé vers la droite, porté de travers en quelque sorte; négligence du roi ou impertinence peintre… quoiqu’il en soit le portrait déplut, et Goya écarté, mais pour des raisons qui ne sautent pas aux yeux.
La posture de Ferdinand VII et l’affirmation symbolique de son autorité ont dû convenir ou au moins ne pas choquer ; le tableau ne nous serait sinon pas parvenu. La contrariété se loge dans les détails. Le magnifique manteau royal, de splendeur pourpre et de blanche hermine, est bordé d’un parement de brocart d’une grande richesse. On devine l’or et les pierres précieuses. On devine… le regardeur qui s’approche découvre une technique qui ne surprendra plus un siècle plus tard. Une technique véritablement impressionniste : la richesse du brocart est rendue par des touches de couleur, voire des gouttes, l’épaisseur de la peinture. Une manière radicale qui ne représente pas le parement mais en traduit la perception. Le collier de la toison d’or est
traité de la même façon, un rendu d’une exceptionnelle efficacité. Goya avait 68 ans lorsqu’il peignit ce portrait, artiste accompli, un art maitrisé. On ne peut s’empêcher de penser que ce choix technique est celui d’un précurseur. Il parait attester que Goya a senti la possibilité d’une évolution de la représentation de l’objet vers la représentation de sa perception. N’est-ce pas là le signe de l’intuition de ce qui, un peu plus d’un demi siècle plus tard, constituera l’impressionnisme.
Post-scriptum : un regret ?
Après le visite de « Goya, The portraits« , Londres, The National Gallery, jusqu’au 10 janvier 2016.
Illustrations (courtoisie Museo Nacional del Prado) : (1) Francisco de Goya y Lucientes, Fernando VII con manto real, 1814 – 1815 (huile sur toile, 208 x 142,5 cm) — Museo Nacional del Prado ; (2) et (3) Francisco de Goya y Lucientes, Fernando VII con manto real, 1814 – 1815, détails (source pour ces extraits Wikipedia IT) ; (4) Francisco de Goya, Portrait of Ferdinand VII, ca. 1814-15 (huile sur toile 84 x 63.5 cm) — Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid
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