Puis le regard, fécondé par le rêve, insuffle l’esprit…

JL Bernard fétiche pour trouver le plein emploi« Lorsque les enfants atteignaient l´âge de treize ans, le grand prêtre jetait aux ordures les objets qui avaient bercé leur enfance et nourri leur âme. La nuit venue il allait les récupérer pour son propre usage. » Il espérait sans aucun doute y trouver l’énergie singulière qui pourrait nourrir son pouvoir ; l’énergie des rêves. Les rêves de l’enfance ont une puissance créatrice extraordinaire. Ils inspirent des assemblages improbables que ne guident que l’émotion et une candide nécessité. Puis le regard, fécondé par le rêve, insuffle l’esprit à l’objet dont la parfaite réalisation se mesurera à sa tendre complicité.

Les fétiches qui accueillent le visiteur dans un ordre impeccable sous la voûte de La Grange du Boissieu, sont le fruit de cet art magique que travaille, explore et nous révèle Jean-Louis Bernard. Ils sont exactement ce que l’intelligence et la sensibilité de l’enfance exigent avec intransigeance : une forme qui adhère à l’esprit qui l’inspire et l’éclaire, qui ne cèdera à aucune analyse savante qui chercherait à les séparer. Chacun est exactement ce qu’il doit être, non le fruit du hasard mais celui d’une volonté de vérité. L’artiste a cette acuité particulière du regard, familier et expert, de celui qui sait intimement. Il reconnait l’affleurement des rêves et des vies dans les gravats abandonnés ; il rassemble les morceaux épars pour en faire le matériau de ses sculptures. Il s’agit d’un art ni simple, ni brut, sans aucune naïveté. Comme d’autres le font du marbre, du bois ou du plâtre transmué en bronze, le poète tire de la matière éparse une réalité onirique et magique. Il sait pour cela   « se retrouver en état d´enfance ». C’est-à-dire, précise Pierre Péju, retrouver une faculté d’attention à la moindre chose et une faculté de prendre au sérieux des choses ou des situations assez pauvres, mais souvent fort émouvantes, sans jamais rien en déduire.

JL Bernard fétiche pour s etonner que le loupPierre Péju, écrivain, voit dans le haïku le style le plus proche de l’Enfantin : textes brefs, dépouillés, assemblant quelques mots essentiels, dont il ne faut rien déduire mais seulement éprouver l’émerveillement d’un rien qui devient quelque chose. Les fétiches de Jean-Louis Bernard, assemblages de débris les plus humbles et les plus oubliés, font éprouver ce même émerveillement et plus encore lorsque l’on découvre les textes qui les accompagnent. Juste quelques mots, brèves dédicaces qui ne trahiraient pas le joli nom de haïku ; ainsi ce fétiche « pour s´étonner que le loup gris clair ait la bouche sèche ». Ces phrases, poèmes d’un seul vers façonné au plus près, constituent en fait une œuvre duale de l’œuvre sculpturale. Il est tentant de les réunir pour donner forme à un écho poétique à l’exposition. Au fil de la visite, une promenade imaginaire parmi les mots…

JL Bernard contes de la mémoire immédiate - recadréFétiche de petite taille
pouvant servir d’épouvantail

pour adoucir les brutes de décoffrage
citoyen et inconscient pour voter avec enthousiasme
pour applaudir au démantèlement des murs
pour saluer les dégâts avec modestie

pour ne pas blesser les oiseaux en élaguant les arbres
pour voir un chat, et vivre pleinement sa journée
pour consoler l´araignée du matin
pour vaincre la crainte de la première fois

las de transporter avec lui des oracles
pour savoir si l´ignorance est pire que ce que nous savons
pour sauter très haut et ne pas redescendre

pour être en paix avec soi-même et saluer la mort des pères
pour, à la tombée de la nuit, accueillir le fantôme
pour augmenter la part des anges

Après la visite de L’archéologie des âmes, sculptures de Jean-Louis Bernard, exposition à La Grange du Boissieu jusqu’au 3 mai. Plus tard, encore, le 13 février 2019, en la librairie Arthaud, un enchantement pas démenti.

Citations : en italique entre guillemets, reprises des titres des sculptures de Jean-Louis Bernard ; en italique sans guillemets reprise de Pierre Péju, Enfance obscure, Gallimard, 2011, (pp. 112-114) — Le sonnet en vers libre et son titre sont composés exclusivement de titres des sculptures de Jean-Louis Bernard.

Illustrations (courtoisie de l’artiste et La Grange) : (1) J.-L. Bernard, Fétiche pour retrouver le plein emploi de soi-même, 2015 (détail — 131x21x14cm) ; (2)  J.-L. Bernard, Fétiche pour s’étonner que le loup gris clair ait la bouche sèche, 2015 (62x23x10cm) ; (3) J.-L. Bernard, Contes de la mémoire immédiate « Se retrouver à l’état d’enfance », 2015 (128x22x22cm) — photographies (2) et (3) ©Alexandre Baumgartner, (1) de l’auteur.



Catégories :art contemporain, choses d'ici, regardeur

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