Que devient le corps quand l’esprit est ailleurs ?

Rene Santibanes regardant le dessin animé américain « South Park ».
Monterrey, Nuevo Leon, Mexique
(Olivier Culmann – 05/03/2006)

Lorsque l’esprit est occupé au point de paraître abandonner son lieu habituel d’assignation, que devient le corps ? Que devient le corps quand l’esprit est ailleurs ? Si la formulation de la question paraît évidente, la réponse l’est moins. Pour l’approcher, il faut d’abord un corpus qui permette d’observer ce qu’il en est, et donc une situation. La mort est hors sujet, le sommeil est hors-jeu. La lecture est candidate, mais l’esprit absorbé garde le contrôle du corps dont il commande la posture : il faut bien maintenir le livre précisément dans le champ du regard. La télévision offre de meilleures conditions : l’esprit est absorbé alors que le corps n’a à assurer qu’une contribution minimale pour maintenir le regard.

Watching TV, série photographique d’Olivier Culmann présentée récemment à la Maison de l’Image, constitue un tel corpus. L’objectif du photographe, en observateur discret et bienveillant de l’intimité du téléspectateur, saisit l’image de son corps à ce moment où l’esprit est captivé, capturé, par le spectacle de la télévision.

Helen Abum Okafor zappant entre les chaines Silver Bird, NTA5, LTV8 et MBI.
Quartier Yaba, Lagos, Nigeria
(Olivier Culmann – 10/12/2006)

On pense communément que c’est là un moment « où l’attention se relâche, où la conscience s’endort » sous l’effet hypnotique des scintillements de l’écran, alors qu’au contraire c’est un moment de grande concentration pendant lequel l’esprit migre vers le monde outre-écran et entraine avec lui la conscience : il s’informe, apprend, s’émeut. Le corps, libéré de la contrainte du paraître dans lequel il est ordinairement maintenu, exprime quelque chose d’inattendu de la personne. Quelque chose de vrai et d’intime.

Le regardeur découvre le théorème de Grimaldi : « Ce corps qui est le mien précède donc toujours quoi qu’on puisse penser de moi. Avant [que les autres] ne puissent rien soupçonner de ma sensibilité, de ma ténacité, ou de mes goûts, mon corps les a prévenus et leur en a suggéré une image. De tout ce qu’on m’attribue de la sorte, et qui me rend d’emblée sympathique ou antipathique, rien pourtant ne dépend de moi. Tout est involontaire« .

Gitanjali et son frère Sidharth Menon regardant le film Malayalam « The King » sur la chaîne Asia Net. Kerala, Ernakulam, Inde
(Olivier Culmann – 24/03/2005)

Lorsque l’esprit est ailleurs, le corps attentif à respecter la prise de distance cherche une posture de confort ; quoi de plus insupportable, n’est-ce pas, que la douleur lancinante provoquée par un siège de mauvaise qualité ou une position incommode ? Chaque position est une invention, originale et singulière comme une signature.

Les photographies d’Olivier Culmann font l’inventaire de ces variations subtiles ou radicales. Chacune est un portrait intime dont la qualité esthétique discrètement recherchée évite l’écueil de l’exhibitionnisme pour celui qui a accepté de participer à l’expérience — dont l’identité est déclinée par le cartel — et l’écueil du voyeurisme pour le regardeur invité à repenser son rapport au corps : « Mon corps m’exprime-t-il ? Ou suis-je au contraire au secret dans mon corps, comme un prisonnier clandestin ?« .

Après la découverte de la série « Watching TV » d’Olivier Culmann lors de l’exposition )intérieurs( organisée par La Maison de l’Image du 6 au 30 juin 2013 à l’ancien musée de peinture de Grenoble.

L’album de la série Watching TV est publiée aux éditions Textuel (2011), une grande partie des photographies est par ailleurs accessible sur le site de Tendance Floue, collectif de 13 photographes fondé en 1991 « pour ouvrir de nouvelles perspectives et diversifier les mode de représentation de la photographie contemporaine ». Tendance Floue est présent aux Rencontres de la photographie d’Arles.

La première citation est empruntée au commentaire de Cécile Cazenave sur Watching TV sur le site de Tendance Floue. Les suivantes sont tirées de : Nicolas Grimaldi, Les Théorèmes du moi, Grasset 2013 (pp. 125, 126)

Illustrations (courtoisie de l’artiste).



Catégories :choses d'ici, photographie, regardeur

Tags:, , ,

1 réponse

  1. Olivier Culmann et Mat Jacob exposent à Reims « Les mondes de l’école » jusqu’au 27 octobre 2013. Cette exposition est le produit d’un travail réalisé entre 1993 et 1999 en parcourant 20 pays à la recherche d’une réponse à la question de « savoir si l’école est une façon d’imposer un mode de pensée ou au contraire si elle est le moyen de donner aux enfants le bagage intellectuel qui, plus tard, leur permettra d’être libres. »

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :