Une lame brille, un instant… puis un bateau prend le large

de-luca-2010.1289638428.GIF Être totalement orphelin, sans la moindre parentèle, sans racines pour nourrir le désir de grandir.
Comment l’imaginer ?
Comme une suspension au-dessus d’un abîme sans horizon ?
Comment ne pas sombrer
Comment vivre malgré cet absolu abandon ?
Insensibilité de la conscience qui ne pourrait pas même concevoir ses origines ou protection paradoxalement offerte par la solitude même.

« Un enfant qui grandit sans une caresse endurcit sa peau, il ne sent rien, même pas les coups de bâton« , écrit Erri de Luca, et il ajoute immédiatement : « il lui reste ses oreilles pour apprendre le monde. » La peau endurcie par une vie sans compassion protège un cœur sensible. Le scugnizzo sans famille a les oreilles et les yeux ouverts sur le monde vers lequel il va avec un désir tranquille et déterminé. Orphelin mais sans solitude, il grandit dans les interstices, un réduit pour tout logis, une cave pour jardin secret. Goal et ramasseur de ballon à la marge des camaraderies, il a sa place dans la cour et à l’école. Il apprend. Il s’applique à découvrir les classiques en classe et dans les livres de Don Raimondo, et le quotidien dans le compagnonnage de Gaetano et les bras de la veuve. Le scugnizzo s’épanouit sous la protection discrète de son padrone et du soleil auquel les fenêtres de Naples, complices, fraient un chemin parce « le soleil aime ceux qui vivent en bas, là où il n’arrive pas« . En apesanteur, il éprouve sa légèreté jusqu’à ce jour où la gravité le rattrape ; surgissement de ses parents dont Gaetano lui livre la mémoire. Défi sidérant de l’héritage soudain d’un lignage, d’une histoire tragique, de voir surgir la question fondatrice de la ressemblance parce que personne n’est libre de ne ressembler à personne*. Le réel enseveli par le temps se dresse intempestivement face à l’avenir, met au défi la mémoire d’un amour d’enfance et dans une étourdissante accélération amène le scugnizzo au plus près de la mort. Gaetano et le soleil veillent. Une lame brille, un instant… puis un bateau prend le large.

Le jour avant le bonheur dont Erri de Luca nous livre l’aube m’apparait comme une histoire un peu lointaine, presque nostalgique, où s’entend l’écho d’un autre temps et se devine la rumeur d’autres lieux. Quelque chose entre sépia et noir-et-blanc. Puis peu à peu le roman se rapproche. Il résonne des battements d’une vie qui pour être singulière n’en est pas moins porteuse d’universalité. Le roman, au fil des phrases, prend les allures d’un conte. Les pages se tournent, le lecteur ne lâchera plus le texte. Il suit le scugnizzo qui avance dans un mouvement d’une puissance sereine jusqu’à ce point où le couteau tranche le lien entre l’enfant et l’adulte. Une fulgurance colorée illumine un instant la page. Expulsion de l’enfant. Renaissance.

A près la lecture de : Erri de Luca, Le jour avant le bonheur, Gallimard 2010 (citations tirées des pages 27, 27, 111 – * paraphrasé de la page 99)

Illustration : jaquette de l’ouvrage.



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