À en croire certains visiteurs de l’exposition Gaston Chaissac, accepter qu’une grande personne dessine comme un enfant et le revendique ne va pas de soi. On peut entendre, ici ou là, affirmer que tout simplement l’homme ne savait pas dessiner et qu’au fond ces gamineries c’est tout ce qu’il pouvait faire ; l’originalité de l’œuvre tiendrait donc à l’entêtement de son auteur. On n’entendra pas ce reproche à l’encontre de peintres qui auront fait leurs preuves — attestées au moins par des œuvres de jeunesse — avant de s’engager dans des voies plus hasardeuses. D’aucuns suggèrent qu’il s’agit de dessins d’un grand enfant et invitent les enfants à venir admirer ces œuvres qui donnent à leurs propres productions une légitimité et une valeur nouvelle. Mais c’est là encore un malentendu : que Chaissac ait vécu dans un environnement scolaire et que sa femme ait été institutrice n’est que le fruit d’un hasard (heureux) ; il aurait probablement poursuivi son œuvre en d’autres circonstances et d’autres lieux. On pourrait évoquer, comme le fit semble-t-il Dubuffet, une création spontanée dégagée des contraintes culturelles ou intellectuelles, formelles ou académiques, comme les créations d’aliénés. On serait alors exposé au mystère d’une forme en quelque sorte primitive du geste artistique. Chaissac s’est défendu contre ce rapprochement et l’étiquetage brutal qui en aurait découlé.
Touché par la sensibilité des dessins, peintures, sculptures, et par la façon dont s’imposent les invariants graphiques au fil de l’exploration de l’exposition, il m’a semblé avoir effectivement affaire à autre chose. Quelque chose d’inclassable (mais faut-il classer ?) Quelque chose comme l’invention d’un genre. Rester dans le cadre du dessin enfantin pour en explorer la puissance graphique, symbolique et suggestive, s’y tenir pour découvrir ce qu’il permet de création entre image et écriture, telle est la discipline que s’impose Gaston Chaissac. Il forge une technique autant qu’un style, une grammaire du dessin d’enfant qu’il affine, affirme tout au long de sa vie. Humour, tendresse, candeur, une qualité du trait qui s’approche au plus près de ce qu’il y a à montrer, en restant soumis au genre adopté. Deux petits dessins m’ont particulièrement retenu (j’aimerais vous les montrer). Le premier, tracé sur un buvard, présente un petit visage émergeant d’un triangle comme de sous un foulard. Ce visage rayonne une tendresse fragile. L’autre, en quelques traits, suggère de façon comique un personnage secret, conspirateur, surpris par la plume de Chaissac. L’économie de moyens, la justesse du trait sont autant de preuves d’un accomplissement. Bien sûr ! Chaissac sait dessiner et, en plus, il sait colorier.
Ainsi, les œuvres de Gaston Chaissac ne m’apparaissent pas comme des créations puériles, à la facture simplette, mais comme le produit d’un choix plastique délibéré, retenu pour sa propre puissance d’expression et ses contraintes spécifiques dont l’artiste exploite les à-peu-près graphiques ou picturaux au service de son intuition poétique. Au fond, Gaston Chaissac invente le dessin d’enfant comme genre.
Après la visite de l’exposition Gaston Chaissac au Musée de Grenoble
Illustration : affiche de l’exposition. Gaston Chaissac, La belle dame violette (détail), 1960 (huille sur bois).
Le dossier de presse et quelques images sont disponibles [ici].
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