Le souvenir au risque des retrouvailles

blake-elohim-adam.1246958722.jpg Je l’ai rencontré pour la première fois à Londres, au milieu des années 80. Rencontre fortuite. Je visitais la capitale britannique avec application, veillant à ne manquer aucun lieu fameux. J’avais ainsi décidé, par une après midi pluvieuse évidemment, de découvrir la Tate Galerie. Je ne me souviens plus précisément laquelle, mais je pense que c’était celle que l’on nomme aujourd’hui la Tate Britain. Pas loin de l’entrée, ma curiosité fut attirée par l’absence de lumière d’une pièce dont la porte blake-abel.1246958819.jpg curieusement était ouverte. Je suis entré. Éblouissement. Je découvrais les gravures de William Blake. Dans une atmosphère religieuse, à distance de lecture dans les vitrines, étaient présentées des gravures resplendissantes, à la fois délicates et imposantes. Des personnages entre terre et ciel, mi-hommes mi-dieux, saisis dans des poses athlétiques et monumentales, affirmant une présence à la fois symbolique et anatomique. Willam Blake m’enchantait et m’impressionnait. Les images de ce graveur illustre (j’allais l’apprendre) me paraissaient d’une modernité éternelle.

J’ai passé un long moment dans ce lieu, allant d’une image à l’autre, revenant sur mes pas. D’où venait l’intérêt pour cette rencontre ? la fascination qui me faisait m’attarder sur certaines images ? Peut être de l’alliance entre la vision poétique de Blake — les critiques m’apprendront qu’elle était romantique — et la puissance géométrique des corps, la dynamique de leurs lignes de force échappant à la statique de leur pose. Peut-être Blake donne-t-il lui-même la réponse à cette interrogation lorsqu’il écrit :

« L’homme n’a pas un corps distinct de son âme, car ce qu’on appelle corps est une partie de l’âme perçue par les cinq sens, principales entrées de l’âme dans cette période de vie »

Voilà, c’est cela. C’est cette fusion du corps et de l’âme qui s’impose au regardeur, qui diffuse une énergie qui capte son attention. Énergie dont le critique nous dit qu’elle est la figure du mal dans le propos de Blake. L’énergie, « seule vie » et « éternel délice ». Protégé par mon ignorance, je n’avais retenu que le mystère et la présence à l’imaginaire des visions du graveur. J’en resterai à ce premier sentiment.

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J’ai pu voler au temps quelques instants pour revoir ces gravures avant que les portes du Petit Palais ne se referment sur elles. Une visite rapide. Las, l’enchantement de l’exposition londonienne avait disparu, dissoute par l’accrochage vertical qui m’oblige à jouer avec l’orientation de mes lunettes aux multiples foyers. Mes yeux ont vieilli, ils contraignent mon regard à des contorsions éprouvantes. Retrouvailles vingt ans après… pari impossible. Comme souvent une partie du charme est rompu. Pourtant ce que j’ai revu a ré-ancré mon souvenir, je revois les images d’hier à travers l’ombre de celles d’aujourd’hui. Finalement, je repars plus heureux que déçu. Sur le chemin du retour je me suis arrêté un moment dans un parc…

« Je demeurai donc près de lui, assis dans l’entrelacs des racines d’un chêne ; et lui se retenait accroché à un champignon qui pendait, tête en bas, sur l’abîme »

L’exposition William Blake au Petit Palais s’est terminée le 28 juin 2009…

Les citations sont tirées des pages 14 et 44 de : William Blake, Le mariage du ciel et de l’enfer, traduction par Andrée Gide, Paris : José Corti, 1922 (Un nouveau tirage de l’ouvrage est disponible chez cet éditeur).

Illustrations : (1) William Blake, and God created Adam, 1795, (2) William Blake, Le meurtre d’Abel, (3) montage à partir d’un photographie de l’affiche de l’exposition au Petit Palais (photographie de l’auteur). Pour les illustrations cliquables 1 et 2 : source Wikimedia Commons.



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