La très leste éthique de l’art

jouet-sur-cartonage-light.1215633044.JPGLa masse retombe avec la régularité d’un balancier d’horloge. La bête s’effondre. La masse retombe… la bête s’effondre. Porc, bouc, mouton, cheval, vache et bichette s’écroulent. Non. Pas tout à fait. Le mouton rebondit puis se fige dans sa posture initiale. Tragique résistance. Ses pattes et une corde emmêlées suggèrent la lutte ; cette corde, comme un ressort, le redresse pour ce défi posthume au regard du spectateur. Du spectateur ? De quel spectacle ? Les vidéos installées au pied des murs de l’exposition donnent la mort et la mort en spectacle. Spectacle… Rien n’est joué. La mort en direct. Pour quelle fin ? Le geste est réglé par une parfaite mécanique : masse, trajectoire, bruit superposables d’une vidéo à l’autre. La rigueur suggère le rite. Seuls changent les animaux. Symboles ? La plaquette de l’exposition (à n’ouvrir qu’à la sortie, comme on consulte les solutions des énigmes d’un magazine) apporte les réponses: sacrifice antilibéral, marteau marxiste, calendrier chinois… mais il manque l’essentiel. Devant les écrans plats : le visiteur. Silencieux. Son regard fait l’œuvre.

Aller, laissons là le faux style. Au fil de la visite un sentiment de culpabilité émerge et peu à peu m’habite tout entier. Je ne vois pas comment dépasser l’émotion et la révolte que suscite en moi ce meurtre en série. Pas de second degré, pas d’échappée transcendante. La mort, la vraie. Animale. Je ne peux lire aucun message, entendre aucune dénonciation d’on ne sait quel libéralisme. Je suis là… les bras ballants… pris dans le dilemme du chaland : lâcheté ou complicité à l’encontre de son plein gré. Je rejette vigoureusement cet acte barbare, cette symbolique morbide que la revendication de « romantique criminel » ne suffit pas à faire accepter. Il faudrait d’un coup de pied défoncer ces images insupportables, mais on finirait avec une grosse facture sur le dos. L’artiste probablement a un avocat. On vit une époque moderne. Il en a d’ailleurs sûrement un ; n’apprend-on pas que les films ont été tournés au Mexique pour des raisons légales ? Ce n’est pas folle création portée par une aspiration rebelle, mais une production réglée, mesurée, ajustée après ce qu’il faut de considération juridique, procédurière. Voire morale ? Oui, sûrement. Cette série est le produit d’une décision calculée, ce qui ne va pas à l’encontre de l’art, mais permet de discuter son bon droit puisque de la transgression du droit, justement, on a évalué le risque. L’artiste, l’enfant terrible, l’homme désespéré est allé trop loin.

J’avais été intéressé par les articles ici et là sur cet artiste très discuté (dit-on). Mon envie était grande de rencontrer les œuvres dont je n’avais vu que des photographies. Je suis reparti triste et contrarié. J’en ai oublié le spectacle du frayage des aéronefs au centre de la grande salle du Magasin. Contrarié. Contrarié par mon incapacité à réagir à la hauteur de mon écœurement. Contrarié d’avoir hésité sur mon jugement en jetant un regard sur le tag au néon : Anything can happen when an animal is your cameraman.

Illustration : L.S., Citation (à comparaître), 2008 (petit jouet plastic sur cartonnage usagé).
C’était après une exposition d’Adel Abdessemed au Centre National d’Art Contemporain de Grenoble



Catégories :art contemporain, choses d'ici, MAGASIN, regardeur

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